Voyager dans le temps, est-ce possible ?
Si vous avez deux heures devant vous, avant de lire les explications ci-dessous, vous pouvez également regarder cette conférence sur le voyage dans le temps :
1. Voyager vers le futur
C’est aujourd’hui une certitude: il est possible de voyager vers le futur.
Reprenons depuis le début. Le temps a été depuis longtemps utilisé dans la vie courante. Mais c’est Isaac Newton qui, le premier, l’a introduit dans la physique. Pour lui, il existe un temps et un espace absolu. Ce temps et cet espace sont identiques pour tout les observateurs. En particulier, le temps s’écoule à la même vitesse pour tous. Cette manière de voir le temps a subsisté plusieurs siècles. Encore aujourd’hui, pour la grande majorité des gens, le fait que le temps s’écoule de la même manière pour tout les observateurs est quelque chose de naturel.
En physique newtonienne, la loi d’addition des vitesses est très simple. Par exemple, si un train roule à 120 km/h et que le contrôleur marche dans le sens du train à 3 km/h, il marche à 123 km/h par rapport au quai. De même, si je roule sur l’autoroute à 120 km/h, et qu’un autre véhicule roule dans l’autre sens (sur l’autre voie) à la même vitesse, les deux véhicules roulent l’un par rapport à l’autre à 240 km/h. la formule, connu sous le nom de loi d’addition des vitesses de Galilée, est la suivante:
Cette formule est un cas particulier. Elle n’est valable que lorsque les 2 mobiles se déplacent en ligne droite et parallèlement.
La Relativité restreinte
Mais après Isaac Newton, il y a eu Albert Einstein (1879-1955). En 1905, la physique a subi l’un de ses progrès les plus importants: la relativité restreinte. Celle-ci énonce 4 postulats:
– Homogénéité de l’espace-temps: les lois de la nature ne dépendent ni du moment ni de l’endroit où elle s’expriment. Autrement dit: il n’y a pas de position ni de moment absolu.
– Isotropie de l’espace: Les lois de la nature ne dépendent pas de la direction dans laquelle elles s’expriment. Autrement dit, il n’y a pas d’orientation absolue.
– Structure de groupe: L’équivalence entre tous les référentiels d’inertie implique que les transformations d’inertie ont une structure de groupe. Autrement dit, il existe une transformation identique, l’inverse d’une transformation existe et la succession de deux transformations est une transformation d’inertie.
– Causalité: La cause doit toujours précéder l’effet. Autrement dit, le passé et le futur sont absolus.
Ces 4 postulats, après de nombreux calculs, permettent de déduire une loi d’addition des vitesses. Elle n’est pas identique à la loi de galilée.
Où ‘c’ est une vitesse. Il existe donc une vitesse qui a un rôle particulier dans l’Univers. Deux cas sont possibles:
– ‘C’ est infini. Dans ce cas, on retrouve le cas particulier de la vie courante.
– ‘C’ est fini. Dans ce cas, il existe une vitesse absolu. Comment la trouver ?
Cette vitesse a une propriété particulière: c additionné à n’importe quelle vitesse, redonne c. Autrement dit, si un mobile se déplace à cette vitesse dans un référentiel, il se déplace à cette vitesse dans tout les référentiels. Il faut donc détecter quelque chose qui se déplace à la même vitesse quelque soit la vitesse de l’observateur. La vitesse de la lumière est un bon candidat, car les expériences les plus précises ne détecte pas la moindre variation de vitesse quelque soit la vitesse de l’observateur.
Remarquons que les vitesses de la vie courante sont extrêment faible par rapport à la vitesse de la lumière. Cela explique que les vitesses s’additionnent selon la loi de Galilée à notre échelle.
La lumière se propage donc à la même vitesse, quelque soit la vitesse de l’observateur. Cela peut paraître très étrange, et les conséquences le sont encore plus. Par exemple, le temps et l’espace ne sont plus absolus, comme le pensait Newton. Ils se déforment selon le référentiel pour obliger la lumière à conserver sa vitesse. Considérons l’expérience suivante.
Dans le premier cas, un observateur regarde un photon se déplacer, se réfléchir dans un miroir, et revenir. Dans le deuxième cas, le trajet est exactement identique, mais il est vu par un observateur en mouvement. Le trajet qu’a du parcourir la lumière lui semble plus long (comme on peut le voir sur le schéma). Mais le photon a toujours la même vitesse. Une simple application du théorème de Pythagore donne le résultat suivant:
T est le temps écoulé pour l’observateur mobile entre le début et la fin de l’expérience.
T0 est le temps écoulé pour l’observateur immobile entre le début et la fin de l’expérience.
V est la vitesse de l’observateur mobile par rapport à l’observateur immobile.
c est la vitesse de la lumière.
Donc, T < T0. Cela signifie que si un mobile se déplace, l'écoulement de son temps propre est inférieur à celui d'un objet immobile. Ce phénomène est très faible pour les vitesses courantes. Le rapport des différences de temps ne dépend que de la vitesse d'un observateur par rapport à l'autre.
A 10 000 km/s, le temps n’est dilaté que dans un rapport de 1.00056, soit un seconde de décalage toutes les demi-heure.
A 100 000 km/s (soit le 1/3 de la vitesse de la lumière), le temps n’est dilaté que dans un rapport de 1.06.
Application
Utilisons la dilatation du temps pour voyager dans le futur.
Le principe est simple. Il suffit de se déplacer à grand vitesse par rapport à la Terre puis de revenir. Mais pour atteindre une grande vitesse, il faut d’abord accélérer. L’être humain ne peut pas ressentir la vitesse, il ne ressent que l’accélération. Autrement-dit, il peut voyager aussi vite qu’il veut, mais l’organisme ne supportera pas longtemps un accélération trop forte. Sur Terre, nous sommes en permanence soumis à la pesanteur, qui est une accélération de 9.81 m/s2. Si un véhicule se déplace dans l’espace à cette vitesse, les humains à l’intérieur subiront une pesanteur égale à celle subit sur Terre.
Pour voyager vers le futur, il suffit donc de voyager dans l’espace avec une accélération de 9.81 m/s2. Arrivé à mi-parcours, on retourne la fusée afin de ralentir jusqu’à l’objectif. Ensuite, il suffit de revenir par le même procédé. La formule qui permet de calculer la dilatation du temps n’est plus aussi simple, car la vitesse n’est plus constante. Regardons le tableau suivant:
Il est donc possible de faire un voyage de 60 000 ans dans le futur, le temps d’une vie humaine. Mais cette méthode ne permet aucun retour. Le voyageur ne pourra jamais revenir à son époque. Il reste encore à trouver un véhicule qui pourrait effectuer cet exploit. Malheureusement, ce véhicule devra consommer en une année plus que l’énergie actuellement produite sur Terre pendant cette période. Il faut donc imaginer de nouvelles sources d’énergie.
Ce vaisseau pourrait ne pas embarquer de carburant mais récolter les protons qui circulent librement dans le vide inter-sidéral. Il faut trouver un moyen pour les récolter et les transformer en énergie facilement.
Les voyages du futur s’annoncent passionnants.
2. Voyager vers le passé
Les paradoxes
Dès que l’on considère la possibilité de voyager vers le passé, on se heurte aux paradoxes. Voici une petite liste des paradoxes les plus courants:
Le paradoxe du grand-père. Il existe de nombreuses versions de ce paradoxe. Supposons que je remonte le temps et que je tue mon grand-père avant qu’il ne donne naissance à mon père. Mon père ne naîtra jamais, donc je n’existe pas. Mais si je n’existe plus, je ne vais pas remonter le temps pour assassiner mon ancêtre. La situation est paradoxale. Le même problème se pose si je remonte le temps pour me tuer moi-même.
Tout ou Rien. Un objet ou une information existe sans avoir été créé. Par exemple, je remonte le temps pour donner une montre à mon père. Mais il s’agit d’un montre qu’il m’a donné. La montre a toujours été en possession de mon père ou de moi-même. Qui a créé la montre ?
Un tel objet est appelé un Djinn.
Paradoxe du non-choix. Après avoir reçu un objet du futur, je décide de ne plus l’envoyer.
Les trous de ver
Les équations d’Einstein permettent de découvrir des structures physiques très bizarres. Outre les trous noirs, il existe peut-être des Trous de vers. Concrètement, un trou de ver est constitué de 2 bouches et d’une gorge. Il est possible de passer d’une bouche à l’autre en passant par la gorge. Il est aussi possible de déplacer chaque bouche individuellement. L’intérêt est que la gorge garde la même taille. Donc, si on déplace les 2 bouches très loin, il est possible de passer d’un point de l’Univers à un autre en très peu de temps.
De manière imagé, cela revient à construire un tunnel à l’intérieur de la Terre pour relier Paris à New-York, afin d’éviter de devoir contourner la Terre. Le trajet est alors plus court, puisqu’il s’agit d’une ligne droite.
Le trou de ver ci-dessus permet de voyager dans l’espace, mais pas dans le temps. Déplaçons l’une des bouches à grande vitesse par rapport à l’autre. Pendant que les 2 bouches s’éloignent, elle subissent une différence d’écoulement du temps. Supposons que la bouche A reste sur Terre. La bouche B voyage jusqu’au centre de la galaxie puis revient, avec une accélération de 9.81 m/s2, comme indiqué plus haut.
A son retour, 60 000 ans se seront écoulés sur Terre, mais la bouche B n’a vécue que 40 ans. Donc, si un être humain a voyagé à coté du trou de ver, il peut visiter le monde tel qu’il sera dans 60 000 ans. Après son touristique voyage, libre à lui d’emprunter le trou de ver, pour ressortir par la bouche A. Comme les deux bouches restent reliés à travers l’espace et le temps, le voyageur ressortira 60 000 ans plus tôt. Libre à lui de raconter ce qu’il a vu.
Remarquons que dès que le trou de ver est devenu une machine temporelle, les hommes restés sur Terre, peuvent aussi utiliser le gorge pour explorer l’avenir, et ensuite revenir dans le présent.
Cette méthode permet donc de voyager vers le passé. Mais il y a une forte contrainte. On ne peut pas remonter avant la création du trou de ver. Si aucun trou de ver n’existe actuellement, aucun voyageur du futur ne peut arriver jusqu’à nous. Le passé est définitivement perdu. Mais un trou de ver temporel existe peut-être, que soit de façon naturelle dans l’Univers, ou créé par une civilisation extraterrestre intelligente (s’il y en a).
Remarquons aussi que pendant qu’un objet traverse la gorge, il possède une énergie négative, ce qui compense exactement l’énergie qu’il va créer en arrivant dans le passé. L’énergie est donc parfaitement conservée.
Le billard de Polchinski
Nous allons jouer au billard. Rajoutons une particularité, en remplaçant 2 trous par les bouches d’un trou de ver. Les bouches sont séparées de quelques secondes.
Pour rendre le dessin plus clair, la boule est dessinée en rouge avant de passer dans le trou de ver, et elle est bleue après. Il s’agit pourtant de la même boule.
La boule (représentée en rouge) est envoyée dans le trou, en ligne droite. Elle rentre dans le trou. Comme ce trou est une bouche temporelle, elle ressort quelques secondes plus tôt par l’autre trou. Si on vise bien, il devrait être possible de s’arranger pour que la boule qui ressort par le trou (donc la boule représentée en bleu) vienne cogner la boule rouge afin de la faire dévier et de l’empêcher de rentrer dans le trou.
Cela est paradoxal puisque si la boule rouge n’entre pas dans le trou, elle ne pourra pas ressortir et venir se cogner.
Il existe une solution dynamiquement cohérente, respectant les conditions initiales, découverte par Echeverria et Klinkhamer à Caltech.
La boule rouge part exactement comme avant mais, au lieu de subir une collision de plein fouet, ne reçoit qu’un léger choc sur l’arrière qui dévie sa trajectoire sur la gauche. Elle traverse le trou de ver, en ressort légèrement déviée, va se frapper elle-même sur le flanc et s’en va en bas à gauche. L’ensemble de la trajectoire est en parfait accord avec les lois de la dynamique classique, il n’y a aucun paradoxe dans la séquence des événements.
Cela peut paraître bizarre. En fait, le début du mouvement est exactement le même. Ensuite, la nature arrange le coup pour qu’il respecte ses lois. C’est le même phénomène qui se produit dans le billard classique, où le boules se comportent de manière à préserver l’énergie et la quantité de mouvement.
Le problème est que ce n’est pas la seule solution cohérente. Echeverria et Klinkhamer en ont découvert une deuxième.
Cette fois la boule rouge est heurtée sur l’avant gauche par la boule bleue et elle est déviée sur la gauche. Elle traverse encore le trou de ver dont elle ressort légèrement déviée (dans le sens opposé de la solution précédente) avant de frapper la boule rouge.
L’ensemble de la trajectoire est de nouveau en parfait accord avec les lois de la dynamique classique, et il n’y a toujours aucun paradoxe dans la séquence des événements. Seulement, nous avons une situation insolite en physique newtonienne: les mêmes conditions initiales conduisent à deux trajectoires aussi cohérentes l’une que l’autre. La situation est même plus étonnante encore: il existe en fait un nombre infini de trajectoires permises!
Thorne indique que le choix entre ces trajectoires est statistique: dans 48% des cas, la première solution est adoptée, dans 48% des cas la deuxième, et dans 4% des cas l’une des autres trajectoires.
On se retrouve dans la situation familière de la mécanique quantique, mais inédite en mécanique classique.
De manière générale, le voyage temporel autorise plusieurs solutions correspondant aux mêmes conditions initiales (ou finales). On a par exemple:
Supposons maintenant que la boule est explosive. Au moindre choc, elle explose!
Les solutions ci-dessus ne sont plus valables mais il existe d’autres moyens de lever le paradoxe. Je ne vous donnerais pas la solution et je vous invite à essayer de résoudre ce problème. Attention: On devient vite mordu !
A l’heure actuelle, les physiciens ne connaissent pas de cas qui ne puisse trouver une solution. Je vous invite à chercher. Si vous en trouvez un, à vous la célébrité. Attention: il ne suffit pas de ne pas trouver de solution, mais il faut prouver qu’il n’en existe pas.
Situation auto-cohérente
Le fait que le voyage vers le passé soit possible à de lourdes répercussions sur la physique. Nous rejetons la théorie selon laquelle chaque voyage temporel crée une nouvelle branche spatio-temporelle. Chaque voyage temporel doit se faire dans le même espace-temps. Autrement-dit, on ne modifie pas le passé. Cela a 3 conséquences importantes.
Abandon du libre arbitre. On ignore s’il existe vraiment, mais il n’a aucune place dans le cadre du voyage temporel, puisque les situations sont créées de manière probabilistes.
Possibilité de création spontanée de matière et d’information. Je vais dans le futur, et je ramène la preuve d’un théorème encore inconnue actuellement. Ensuite, je publie cette preuve, elle sera publié dans le livre que j’ai consulté. Qui a démontré le théorème ?
Réalité de « L’Univers-bloc ». Le passé est conservé quelque part, et le futur existe déjà. Le futur ne se créé pas au fur et à mesure. Une métaphore simple est celle de la cassette-vidéo. L’histoire ne se crée pas pendant le film, elle était déjà écrite avant.
Une telle situation est appelée une Situation Auto-Cohérente.
Elle est parfaitement mise en images dans le film L’armée des 12 singes.
Fabriquer une machine à remonter le temps
Exclusif ! Voici enfin le mode d’emploi pour fabriquer une machine à remonter le temps.
1. Fabriquer un trou de ver: C’est le plus difficile. Les trous de ver existent peut-être à l’échelle microscopique. Il pourrait suffire d’en agrandir un. On peut aussi essayer d’en fabriquer un directement en « cousant » 2 trous noirs.
2. Le stabiliser: Il faut utiliser de l’exomatière. Sa création et son utilisation ne sont pas au point. Elle est trop instable.
3. Le charger électriquement: Très facile à faire. Une formalité.
4. Induire une différence de temps: Il faut déplacer une bouche à grande vitesse par rapport à l’autre. La méthode ne pose pas de problème, mais cela demande beaucoup d’énergie.
5. Transformer le trou de ver en machine temporelle: Il faut créer un deuxième trou de ver. Le deuxième trou de ver permet de revenir à son point de départ (dans l’espace, pas dans le temps) après le voyage temporel. Il vaut mieux ne pas rapprocher les bouches, car elle risque de se détruire mutuellement si elles sont trop proches. Le deuxième trou de ver ne doit pas être temporel.
Quand on a un trou de ver, il n’est pas difficile de le transformer en machine à voyager dans le temps vers le passé. Mais le gros problème est de s’en procurer un. Cela n’est pas sans rappeler la célèbre recette du ragoût de dragon, parait-il excellent. Il suffit de trouver un dragon puis …
Quel outil permettrait de créer un trou de ver ? Le mieux est de manipuler un mini-trou-noir qui transforme l’espace et le temps qui l’entoure.
Protection chronologique
Existe-t-il vraiment un moyen de voyager vers le passé ? Peut-être pas.
On peut imaginer que les lois de la nature empêchent tout voyage vers le passé. Il existe déjà de nombreux « filtres » en physique. Un filtre est un postulat qui permet de tester une théorie. Si la théorie ne respecte pas le postulat, elle est rejetée. Parmi les filtres couramment utilisés, les plus célèbres sont les quantités constantes (énergie, quantité de mouvement, …).
Si le voyage dans le passé est impossible, il faudra peut-être l’introduire dans les postulats. Si les postulats deviennent assez nombreux, le filtre total deviendra peut-être assez puissant. Il est possible qu’il ne reste plus qu’une seule et unique théorie possible qui passe tout les filtres. Cela fait l’objet de recherches actuelles.
Conclusion
Pourquoi ne voyons-nous pas de voyageurs temporels ? Faites-vous votre propre idée.
1. Le voyage vers le passé est impossible.
2. Il n’existe pas de trou de ver actuellement. Les futurs voyageurs temporels ne peuvent donc pas arriver jusqu’à nous.
3. Chaque voyage dans le temps crée une nouvelle branche temporelle. Nous sommes sur la première branche.
4. Notre époque n’est pas intéressante, ou elle est trop dangereuse. Aucun voyageur temporel ne veut venir jusqu’à nous.
5. Les voyageurs temporels sont parmi nous, mais se cachent.
Article écrit par le membre Seamous1885 (Benjamin Clément).
Les propos ci-dessus forment un résumé de la conférence intitulé Peut-on voyager dans le temps ?
Cet exposé, présenté par le physicien Claude Semay, a eu lieu le mercredi 18 décembre 2002 à l’université de Mons-Hainaut (Belgique).